LA GESTION DES GRANDS GIBIERS PAR LA CHASSE EN FRANCE

Le rapport en sa intégralité écrit par Nigel Franks de l'association Forests From Farms pour le Collectif "Pour la sérénité de nos campagnes". 
Décembre  2021

Résumé

En 1990, environ 125 000 sangliers ont été tués en France par des chasseurs. En 2019, il y en a eu plus de 800.000.
En 1990, il y avait près de 200.000 chevreuils tués. Aujourd'hui il y en a plus de 500.000.
En 1990, plus de 12.000 cerfs ont été tués. Aujourd'hui il y en a plus de 60.000.

Au cours d'une battue, environ 7 coups de feu sont tirés pour chaque animal tué, ce qui signifie qu'il y a aujourd'hui probablement 9 à 10 millions de coups de feu tirés avec des armes puissantes, contre environ 2,5 millions il y a 30 ans.


En 1990, la France avait une population d'environ 57 millions d'habitants. Aujourd'hui, elle est de plus de 67 millions. En 1990, il y avait environ 7.000 km d'autoroutes/4 voies, aujourd'hui il y en a plus de 11.000. Au cours des 30 dernières années, les infrastructures ont occupé toujours plus du territoire français, et plus de gens sont présents dans les campagnes, notamment à des fins de loisirs et de tourisme. Pendant la même période, les chasseurs ont permis, sinon encouragé activement, le grand gibier à coloniser de plus en plus de zones.

Il est inévitable que ces tendances rapprochent les animaux sauvages des infrastructures et des zones habitées. Il en résulte une augmentation du danger pour les habitants, les loisirs des citoyens, les touristes. Les gens savent que pendant la saison de la chasse, il est dangereux de fréquenter la campagne, alors ils ne le font pas. Cela a permis de limiter le nombre d'accidents. Cependant, chaque année, de nombreux accidents se produisent.

Les chasseurs essaient souvent d'utiliser le nombre d'accidents dans d'autres activités pour tenter de montrer à quel point la chasse est sans danger. Cet argument n'est pas valable : les chasseurs mettent en danger d'autres personnes, y compris d'autres chasseurs, et pas seulement eux-mêmes. De plus, essayer de faire une comparaison avec d'autres activités qui sont peu réglementées ne fait que souligner la nécessité d'une réglementation plus stricte pour ces activités également.

Qu'est-ce qui rend la chasse si dangereuse pour les autres?

D’abord leurs armes sont trop puissantes: elles sont conçues pour tuer des animaux à une distance de 100, 200 même 300m, mais les résultats des entraînements de tir montrent que peu de chasseurs peuvent tuer un animal à 50 mètres, même avec plusieurs tirs sur une cible fixe.  «A 50 mètres, seules 22% des balles sont mortelles et la qualité des tirs se dégrade de 57% entre 25 et 50 mètres » https://www.ancgg.org/AD78/documents/blt218.pdf


C'est une deuxième raison des dangers de la chasse : aussi incroyable que cela puisse être, il n'y a aucune épreuve de l'examen pour un permis de chasse qui implique la capacité de toucher une cible.

Troisièmement, la majorité des balles ricochent...
http://louveterie59.e-monsite.com/medias/files/plaquettericochets-hd-v2-2.pdf


Avec un nombre croissant de coups de feu tirés chaque année et la présence d’ animaux sur les zones périurbaines, le risque d'accident augmente.

Quelles sont les solutions pour faire face au nombre croissant de grand gibier :

  • ne pas compter sur les chasseurs pour la gestion du grand gibier. Les 30 dernières années ont montré l'échec de cette politique, car les populations ont explosé. Il est peu probable qu'un chasseur individuel veuille éradiquer la population dans la zone où il chasse, cela serait contraire aux intérêt cynégétiques ;
  • protéger les cultures et les infrastructures par des clôtures appropriées ;
  • stériliser les populations par des vaccinations utilisant des anticorps, et non des hormones comme on fait dans les autre pays. Ces vaccinations ne présentent aucun risque pour les autres espèces https://www.aphis.usda.gov/wildlife_damage/nepa/risk_assessment/11-gonacon.pdf
  • faire appel à des chasseurs professionnels pour abattre les populations dans les zones où cela est vraiment nécessaire (donc en dernier recours)

Quelles sont les solutions aux dangers des accidents ?

  • imposer un niveau minimum de compétence pour atteindre effectivement une cible dans le cadre de l'examen du permis de chasse ;
  • la puissance des munitions utilisées pour mieux correspondre aux distances de tir réelles ;
  • interdire la chasse sous l'emprise de drogues, d'alcool ou de médicaments pouvant affecter le comportement ou la capacité à manipuler une arme ;
  • des précédentes, effectuer réellement davantage de contrôles quant au respect de ces règles ;
  • interdire la chasse à des distances inférieures à au moins 200 m des propriétés privées et infrastructures sans l'autorisation du propriétaire. (voir la pétition sur change: https://www.change.org/p/pr%C3%A9sident-de-la-r%C3%A9publique-interdiction-de-chasse-autour-les-propri%C3%A9t%C3%A9s-priv%C3%

Sur la dangerosité des armes 

En France, il y a plusieurs dizaines de millions de tirs de relativement faible puissance sur le petit gibier. On compte également environ 8,5 millions de tirs d'armes puissantes pour un total d'environ 1,2 million de gros gibier tué. Étant donné que ces tirs sont les plus susceptibles de présenter un danger pour les personnes, les animaux non gibier et les infrastructures, examinons-les. 

L'analyse des risques est une technique bien connue. Pour un événement individuel, il s'agit du dommage potentiel multiplié par la probabilité. 

Blesser ou tuer une personne à la suite d’un tir de chasse constitue un dommage potentiel élevé. Toutefois, la probabilité est très faible pour un événement unique. Ainsi, pour un seul tir, le risque est généralement considéré comme acceptable. 

Mais en pratique, le risque réel est 8,5 millions de fois plus élevé.   

 Il existe deux stratégies principales pour réduire ce risque réel :

- réduire le danger de chaque tir individuel ; 
- réduire le nombre total de tirs.


Réduire les dangers de chaque tir
    Il est urgent de réduire le nombre de tirs manqués. En ce sens, il convient de s’assurer que les chasseurs peuvent atteindre une cible. Or, actuellement, l'examen du permis de chasse n'exige pas du candidat qu'il atteigne une cible. Contrairement à la Suisse, à la Belgique et à l'Allemagne, où la capacité à atteindre une cible est un pré requis obligatoire:




    Selon les études de l'Association Nationale des Chasseurs de Grand Gibier https://www.chassons.com/equipement/calibre-ideal-pour-chasser-le-sanglier/66022/ : "En chasse collective, la distance moyenne de tir a été établie à 42 mètres et en chasse individuelle la moyenne est de 82 mètres, tous calibres et gibiers confondus."


    Cependant, une “Etude de l’impact de la distance sur la précision du tir à balles sur sanglier courant” https://www.ancgg.org/AD78/documents/blt218.pdf " établit que : "51% des tireurs ont placé une balle efficace (mortelle) au moins 3 fois sur 4 à 15 mètres. Ils étaient encore 40% à 25 mètres mais n’étaient plus que 5% à la distance de 50 mètres. A l’inverse, 28% des tireurs ne réussissent à placer au mieux qu’une balle efficace sur 4 à 15 mètres. Ce pourcentage passe à 40% à 25 mètres. Enfin à 50 mètres, ce sont 84% des tireurs qui ne réussissent pas plus d’une fois sur 4. 

    Ces résultats montrent ainsi que très peu de personnes (5%) peuvent garantir raisonnablement de placer une bonne balle sur des animaux en mouvement à 50 mètres. Hormis ces rares personnes, la proportion de balles efficaces obtenues à 50 mètres semble donc relever plus du hasard que d’une réelle aptitude.

    On rappellera de surcroit que l’échantillon des 43 chasseurs était composé de personnes expérimentées ayant pratiqué à plusieurs reprises des entrainements au sanglier courant." 

    De plus, l’énergie de la balle tirée est un facteur important de la gravité des dommages qu'elle cause. Plus une balle se déplace loin, moins elle a d'énergie. Il faut moins de 100 joules pour tuer ou blesser gravement un être humain. 

    Pour la chasse, l’Arrêté du 1er août 1986 relatif à divers procédés de chasse, de destruction des animaux nuisibles et à la reprise du gibier vivant dans un but de repeuplement : “interdit l'emploi pour le tir des ongulés de toute arme à percussion annulaire ainsi que celui d'armes rayées à percussion centrale d'un calibre inférieur à 5,6 millimètres ou dont le projectile ne développe pas une énergie minimale de 1 kilojoule à 100 mètres.“ pour un tir “propre” où l’animal est tué immédiatement. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006074845/

    Il ressort qu’une énergie d’au moins 1.000 joules à l’impact est fatale ou blesse gravement. Certaines balles courantes utilisées par les chasseurs ont une énergie de  3.000 à 4.000 joules à la bouche. Même après avoir parcouru 300 m sans toucher un animal, elles ont encore plus de 2.000 joules d'énergie.  (Voir  l’annexe ). Les balles peuvent même conserver une quantité dangereuse d'énergie après avoir tranversé le corps d’un animal.

    La portée maximale des projectiles indique à quelles distances une balle peut causer des blessures ou des dommages aux personnes, aux animaux ou aux objets. Le tableau ci-dessus est tiré d'un site américain de formation pour les chasseurs:  https://www.hunter-ed.com/national/studyGuide/Maximum-Projectile-Range-Rifle/201099_92858/.




    On voit la portée maximale d’une balle en plomb au niveau de la mer et à une altitude de 12,000 pieds/ 3.650m. Une mille vaut environ 1.6km. 

    Selon les chasseurs eux-mêmes la portée d’une arme peut atteindre plusieurs kilometres.

    On peut voir que la zone de danger autour d'un chasseur couvre de nombreux kilomètres carrés. Le chasseur ne partage pas la campagne : il l’occupe aux risques et périls des autres usagers.

    Selon l’ ANCGG: " Il en ressort notamment que 95% des projectiles pour fusils lisses ricochent au delà de 10 mètres alors que cette distance est portée à 40 mètres pour les carabines."                    
    Ces problèmes sont connus des responsables de la chasse, notamment par le biais d’une enquête diligentée par l’association nationale des chasseurs de grand gibier : "Ayant lancé il y a quelques années une grande enquête sur l'efficacité des munitions, l'ANCGG a analysé environ 10.000 rapports de tir et a publié une brochure sur l'efficacité des munitions. Cette brochure est toujours disponible auprès de l'Association.

    Il existe plusieurs façons de réduire l'énergie d'une balle en agissant directement sur le tir : réduire la charge, réduire le poids de la balle, réduire la longueur du canon de l'arme et rendre la balle moins aérodynamique.

    Il est également possible d’agir sur l’environnement du tireur. 

    Une des mesures urgentes est d’appliquer réellement et sérieusement l’interdiction de tirer en direction des infrastructures et des propriétés privées.

    Mais comme cette interdiction n’est pas appliquée, il faudrait la doubler d’une obligation de maintenir une distance minimale par rapport aux infrastructures et aux propriétés privées pour toute activité de chasse. Bien que les balles puissent parcourir deux kilomètres ou plus, elles perdent de leur puissance en cours de route et sont donc moins dangereuses à de plus grandes distances.

    De même, il convient d’interdire toute action de chasse aux personnes consommant de l’alcool, des stupéfiants ou des médicaments susceptibles d'affecter la capacité de tir ou le comportement général étant donné la possession et le maniement d’armes létales.

    Ces substances sont susceptibles d’affecter la coordination du chasseur et son jugement quant à l’opportunité d'un tir.

    De plus, les médicaments contre l'hypertension artérielle et l'hypercholestérolémie peuvent avoir des effets secondaires tels que vertiges, somnolence et dépression. Ils ne sont qu’un exemple.

    De même, la conduite d’une chasse exige vigilance et silence. Dès lors, il semble nécessaire d’exclure les badauds et les enfants de toute chasse. En effet, leur présence engendre des distractions, ce qui réduit l’efficacité des tirs et augmente le danger d’un accident.

    Pouvons-nous sérieusement envisager que des hommes se promènent avec des armes létales sans que les autorités en soient avisées ? Il est nécessaire que toute action de chasse fasse l’obligation d’une déclaration auprès de la Mairie sur le territoire de laquelle elle se déroule. La charge d’une signalisation précise sur le terrain pesant sur l’organisateur de la chasse, cette signalisation devant être mise en œuvre 24h avant le début de la chasse. Cela afin que les autres usagers de la campagne puissent s’organiser en conséquence.


    Réduire le nombre total de tirs 

    Il est évident que des chasseurs mieux entraînés et capables de toucher leur cible d'un seul coup réduisent le nombre total de balles tirées. L'examen du permis de chasse doit être modifié pour inclure une épreuve de tir constituée par la preuve de la capacité à atteindre précisément et itérativement une cible. 

    La réduction du nombre d'animaux réduit également le nombre de balles tirées. Il n'est pas réaliste d'attendre des chasseurs qu'ils réduisent considérablement le nombre d'animaux. De leur propre aveu, la gestion du gibier se fait dans le seul but cynégétique. Ils ont donc besoin d’un état de “prolifération” afin de déclencher le plus de chasses possibles.

    La stratégie la plus efficace à long terme pour réduire les effectifs de gibiers est la contraception. Des expériences menées dans d'autres pays ont montré qu'elle est aisée à mettre en pratique – si tenté qu’une volonté de le faire existe -  et moins perturbante que la chasse par des amateurs équipés d’armes létales. S'il est nécessaire de réduire les effectifs de gibiers par la chasse, le moyen le moins dangereux est de confier cette tâche à des chasseurs qualifiés.

    Je cite Francis Roucher: "Le 22 janvier 1988, revenant d’une chasse à laquelle le professeur Hans-Jürgen Otto, qui connaissait ma méthode de gestion des ongulés en Alsace, nous avait invités en forêt domaniale de Basse-Saxe, l’ingénieur Brice de Turckheim et moi-même nous sommes dit, plutôt honteux : « En France, on ne sait pas chasser. » En effet, la veille sur 600 hectares, 24 tirs avaient suffi pour  mettre 24 chevreuils et sangliers au tableau de la seule chasse de l’année dans ce secteur. Pas un seul animal blessé à rechercher le lendemain, impeccable démonstration." http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/62975/RFF_2017_69_1_75_81_Roucher.pdf?sequence=1
     
    Trente ans plus tard, force est de constater qu’il y a trop d’actes de chasse et de balles tirées pour des tableaux de chasse médiocres (dans leur rapport nombre de tirs/nombre de tués) et une gestion des effectifs de gibiers plus que contestable. Plus de 70 % des français en ont marre de risquer d’être tirés comme toute espèce non protégée. Le gouvernement et les élus sont-ils le gouvernement et les élus de ces 70 % ou ceux du lobby de la chasse ?